Misschien zijn mensen als water. Ge kunt ze tegenhouden, omleiden, de andere kant opsturen, en zelfs heel even halt toe roepen. Maar ge kunt ze nooit helemaal stoppen of controleren.
Lire plus Lire moinsUn vieil hangar près du port. La nuit tombe.
Mourad, un jeune Algérien sans papiers, est en route pour Ostende, d’où il veut tenter de joindre l’Angleterre. Erik, un jeune routard flamand, à besoin d’un coup de main et le prend avec lui. En route, ils parlent. De leur monde, comment il est et ce qu’il pourrait devenir.
Cinq femmes voyagent avec eux – invisibles. Avec un arsenal de chansons, de sons et de langages, elles chantent ce dont les hommes ne parlent pas.
de & avec | Camilla Barratt-Due (accordéon, voix - Norvège), Inge Büscher (costumes - Belgique), Charo Calvo (electro-acoustique - Espagne), Michael de Cock (texte et mise-en-scène - Belgique), Stef Depover (scénographie - Belgique), Geert De Wit (son - Belgique), Ruud Gielens (actor - België), Hadewig Kras (chant et basse), Ana Naqe (chant et violon - Albania), Marija Pavlovic (clarinette - Croatie), Kristin Rogghe (dramaturgie - Belgique), Eric Thielemans (coach et oreille extérieure), Judith Vindevogel (chant et direction musicale - Belgique), Mourade Zeguendi (comédien - Belgique) |
choeur | Hassan Abdelaziz, Haytham Abdo, Kamil Abdoursoulov, Ahmadzayeem Ahmadzai, Nabil Ali, Hamid Abdullah Al-Mashhadani, Nabil Al Oubeidi, Waheed Aryaie, Kubilay Badur, Ganesh Bahadur B.K., Alassane Camara, Fidel Congo, Diallo Hamidou Amadou, Bernard Alex Fokou, Gabiam ‘Innocent’ Follivi, Abel Garcia, Safet Gavranaj, Pascason-one Hakirimana, Rodwal Hayaturrahman, Ehmed Houja, Esperance Ingo-Bokana, Namgyal Jamma Geuteng, Awa Jassey, Nima Jawidi, Ajan Karunaiataan, Krishna Khagdi, Jamal Khalesallisami, Wahid Khanjar, Ahmad, Nirouz & Jan Khouja, Elimane Lo, Delroy Kenneth Lampart, Idrissa Mbengue, Richard Maungmaung, Nancy Mayambu, Ali Moeit, Mireille Mujinga, Bashir Ali Nasir, Rahman Pachenar, Wangmo Pema, Kiran Rai, Amir Abdullah Rassull, Zekeria Rezaie, Mustafa Mohammed Sayed, Asef Turkmani, Abdul Wadood Wasefi, Vivienne Wanjiru, Hashmatullah Yousafi, Abdullatif Zarifi |
production | WALPURGIS & 't ARSENAAL e.c.a. Union Suspecte |
en collaboration avec | TAZ, ZVA, National Theatre London & Moussem Nomadisch Kunstencentrum |
Camilla Barratt-Due (accordéon, voix - Norvège), Inge Büscher (costumes - Belgique), Charo Calvo (electro-acoustique - Espagne), Michael de Cock (texte et mise-en-scène - Belgique), Stef Depover (scénographie - Belgique), Geert De Wit (son - Belgique), Ruud Gielens (actor - België), Hadewig Kras (chant et basse), Ana Naqe (chant et violon - Albania), Marija Pavlovic (clarinette - Croatie), Kristin Rogghe (dramaturgie - Belgique), Eric Thielemans (coach et oreille extérieure), Judith Vindevogel (chant et direction musicale - Belgique), Mourade Zeguendi (comédien - Belgique)
Hassan Abdelaziz, Haytham Abdo, Kamil Abdoursoulov, Ahmadzayeem Ahmadzai, Nabil Ali, Hamid Abdullah Al-Mashhadani, Nabil Al Oubeidi, Waheed Aryaie, Kubilay Badur, Ganesh Bahadur B.K., Alassane Camara, Fidel Congo, Diallo Hamidou Amadou, Bernard Alex Fokou, Gabiam ‘Innocent’ Follivi, Abel Garcia, Safet Gavranaj, Pascason-one Hakirimana, Rodwal Hayaturrahman, Ehmed Houja, Esperance Ingo-Bokana, Namgyal Jamma Geuteng, Awa Jassey, Nima Jawidi, Ajan Karunaiataan, Krishna Khagdi, Jamal Khalesallisami, Wahid Khanjar, Ahmad, Nirouz & Jan Khouja, Elimane Lo, Delroy Kenneth Lampart, Idrissa Mbengue, Richard Maungmaung, Nancy Mayambu, Ali Moeit, Mireille Mujinga, Bashir Ali Nasir, Rahman Pachenar, Wangmo Pema, Kiran Rai, Amir Abdullah Rassull, Zekeria Rezaie, Mustafa Mohammed Sayed, Asef Turkmani, Abdul Wadood Wasefi, Vivienne Wanjiru, Hashmatullah Yousafi, Abdullatif Zarifi
WALPURGIS & 't ARSENAAL e.c.a. Union Suspecte
TAZ, ZVA, National Theatre London & Moussem Nomadisch Kunstencentrum
Commentaires
HAVEN 010 dans De Meneertjes, lors du Festival Boulevard, 07/0408/2012
Téle MB Mons reportage HAVEN 010 dans Happy Culture
11/04/2012
Raconter l’exil au théâtre
Le Soir, 21-22/04/2012, Caroline Dunski
Migration, asile, sans-papiers. Des thèmes que Michael De Cock, auteur de pièces (et directeur artistique de ’t Arsenaal, et journaliste), continue à faire résonner. Et tant mieux ! Cette problématique, il ne faut pas la perdre de vue. De Cock a composé un album photo avec le photographe Stephan Vanfleteren, et mis sur pied la production Haven 010 avec sa troupe, en coopération avec Walpurgis et Union Suspecte.
Un gros entrepôt, la pénombre, trois grands écrans de projection. Des images du port d’Ostende à l’aube. Des camions partent lentement et glissent d’un écran vers l’autre. Derrière ces images, un sentiment de désolation, comme sur cette scène de béton plongée dans l’ombre. Le personnage de Mourad (Mourade Zeguendi), va et vient en traînant la jambe, raidi par l’effroi, se cachant à demi. Comme une souris errant dans une cale. A côté de cela, à l’écran, un clandestin témoigne sur les méthodes brutales employées par la police. Un témoignage qui se poursuit en la personne de Mourad, qui cherche désespérément à rejoindre l’Angleterre. Car tel est son objectif, son seul salut. Ne pouvant envisager de retourner en Algérie ou de rester en Belgique, l’Angleterre est sa terre promise. Toutes ses tentatives ont échoué jusqu’à présent, il s’est même éloigné de la côte, arrivant jusqu’à Jabbeke. C’est là qu’il rencontre le camionneur Eric (Ruud Gielens), un homme qui, certes, détient des papiers, mais qui, comme Mourad, est en quête d’indépendance et d’identité. Il se sent comme une fourmi, à transporter des denrées alimentaires à travers l’Europe.
On tâte le terrain, entre méfiance et confiance. Mourad atterrit quelques mois à Merksplas, Eric lui remet un GSM, et à la fin, tous deux quittent ensemble l’entrepôt, à l’ouverture de la porte du hangar, coulissant vers le haut. Les conversations et silences entre les deux hommes sont vrais, humains, et pouvaient bien se passer des témoignages et explications politiques supplémentaires proposés à l’écran. Cet arrière-plan documentaire aurait pu être intégré dans le texte et le jeu des acteurs, l’ensemble n’en aurait été que plus saisissant. Assez de cette projection d’images du port d’Ostende.
Les intermezzos musicaux du quintette, composé de cinq femmes proposant chant, accordéon, violon, basse et clarinette (sous l’orchestration de Judith Vindevogel), contribuent à créer l’atmosphère. La chanson « Jenny des corsaires » de Brecht Brecht/Weill a des sonorités cinglantes, Heroes de Bowie exprime la chimère, les autres chansons et passages instrumentaux ne font qu’un avec l’histoire et le jeu des acteurs. Et puis la réalité et le vertige vous prennent lorsque, à la fin, un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants vient prendre possession de la scène en scandant la cantate « Ach, wie flüchtig, ach wie nichtig ist der Menschen Leben » de Jean-Sébastien Bach, à pleins poumons. Voir et écouter tous ces gens chanter cet air, dans cet endroit, vide, froid, sombre : ça émeut, ça secoue, ça bouleverse. Haven 010 est une pièce à recommander : rien que pour vivre et éprouver cette séquence.
Tuur Devens, Theatermaggezien
Un camionneur qui, comme une fourmi, transporte de lourds fardeaux. Un clandestin algérien qui, comme une souris effrayée, se met en fuite. Ou deux âmes perdues qui, dans un hangar à Anvers, se lient d’amitié.
La souris et la fourmi ne sont que métaphores. La pièce Haven 010 aborde le thème des sans-papiers. Michaël De Cock, directeur artistique de la compagnie ‘t Arsenaal, a signé l’écriture du texte en s’inspirant des témoignages de sans-papiers qui débarquent à Ostende, rêvant d’une vie meilleure en Angleterre.
Mourad est l’un de ceux-là. Sur un parking à Jabbeke, Eric prend Mourad en stop. Eric, ce camionneur qui, à première vue, vit dans autre monde, partage de nombreux points communs avec son passager. Tous deux sont sans arrêt en route, poursuivis par la peur du contrôle. Mourad se sent comme la souris qui file devant les chiens de police, Eric comme la fourmi qui parcourt péniblement les routes, accablé par un volant et une puce enregistrant chacun de ses mouvements.
Les deux acteurs évoluent devant de grands écrans, qui projètent des images parallèles à leur histoire. Un port délaissé, la mer, une lettre d’expulsion. Un quintette composé de femmes, sous l’orchestration de Judith Vindevogel, de la compagnie Walpurgis, voyage en musique avec Mourad et Eric, mais offre par-dessus tout une fin autrement forte et saisissante à la pièce. Une bonne vingtaine de chanteurs de toutes nationalités se regroupent devant le public pour former une chorale et chanter une cantate de Bach : sur l’insignifiance et la fugacité de la vie. Un silence de cathédrale s’empare du public…
Eefje Rampart, GVA, 12.08.2010
Combien de spectateurs auront bien pu remarquer la présence des sans-papiers ? Ils ne sont qu’à quelques pas du public, qui attend l’ouverture des portes. Une petite enquête menée par la suite s’avère surprenante. Quels sans-papiers ? Eh bien, les gens qui étaient à côté de nous, du début jusqu’à la fin ! Ils discutaient en petits groupes ou parlaient avec leurs enfants? Non, rien vu ? Haven 010, une production de ’t Arsenaal et WALPURGIS, en coopération avec Union Suspecte, s’annonce comme un exercice visuel, dès la toute première minute.
« Je le vois, il y en a tellement que j’ai vus sans les voir. » Cette première phrase d’Eric (Ruud Gielens), alors qu’il décrit sa rencontre avec le clandestin algérien (Zeguendi), n’est pas fortuite. Les deux hommes voyagent constamment. Le jeune clandestin espère rejoindre l’Angleterre au départ d’Ostende. Le camionneur ne sait en fait plus très bien où il va, sinon loin d’une mère possessive. Malgré leurs apparences différentes – il y a le Belge, rond et indolent, et, l’Algérien chétif et pressé – tous deux se ressemblent, étrangement : deux âmes perdues, sur le parking de Jabbeke, comme rapprochées par le même destin. Par la suite, les deux hommes sont immobilisés, l’un plus brusquement que l’autre. L’Algérien physiquement ; arrêté et enfermé à l’institut fermé de Merksplas. Le camionneur se fige – tant physiquement que mentalement. A la libération de l’Algérien, les deux hommes s’apprêtent à délivrer un message.
Le texte de Michael De Cock dialogue merveilleusement bien avec la création du compositeur espagnol Charo Calvo, sous l’orchestration musicale de Judith Vindevogel. Troisième partenaire artistique : la caméra, qui introduit le réel par la projection de bribes documentaires.
Haven 010 prouve une fois de plus que, pour sensibiliser sur des thèmes de société, mieux vaut chuchoter que brailler. L’histoire personnelle des deux hommes, interprétée avec une vulnérabilité extrême par Gielens et Zeguendi, touche le plus profond de nous de par son pouvoir anecdotique. Le petit s’inscrit dans l’immensité lorsque les clandestins déferlent sur scène et montrent que, derrière chaque histoire, se cache un réservoir d’histoires semblables, prêtes à se déchaîner comme le déluge. La passion avec laquelle la chorale de clandestins nous chante le prix de la vie fait frissonner. Il s’agit des gens que nous avons vus avant la représentation, ou plutôt : que nous n’avons pas vus. Maintenant qu’ils sont sur scène, qu’ils ont un visage, on les voit. En attirant notre attention sur ce point, Haven 010 décroche son objectif : le théâtre ne peut pas sauver le monde, mais peut ouvrir les yeux sur le monde.
Evelyne Coussens, ZONE 03 du 18.08.2010
(…) Mais la vie reprend parfois bonne tournure. Vingt minutes plus tard en effet, la pièce HAVEN 010, interprétée par les compagnies ’t Arsenaal et Walpurgis, avec la coopération d’Union Suspecte, passe en première. Michael De Cock s’est à nouveau chargé de la mise en scène, avec Judith Vindevogel cette fois. Pour écrire le texte, De Cock s’est basé sur des entretiens avec des clandestins. Le thème de l’immigration clandestine le préoccupe depuis des années déjà. Ici encore, beaucoup d’extras : trois écrans servent de décor mouvant et cinq femmes jouent de la bonne musique, avec brio.
Pour l’occasion, Ruud Gielens joue le rôle d’un routier qui a perdu son travail et son estime de lui. Mourade Zeguendi incarne quant à lui un réfugié algérien voulant rejoindre l’Angleterre. Les deux hommes se rencontrent sur un parking de Jabbeke, où naît leur amitié. Leurs dialogues sont alternés d’enregistrements de témoignages de l’Algérien qui a inspiré le personnage de Mourade Zeguendi. Certaines de ses histoires sont assourdissantes. Des agents de police belges lâchent un chien sur un réfugié. Le chien le mord jusqu’à lui ôter un œil.
Faire de l’art à partir de la dure réalité demeure à mes yeux un exercice difficile. Parce que la réalité est souvent plus cruelle que l’imagination. Parce que les bonnes intentions ne garantissent pas la qualité artistique. Parce qu’il est difficile de trouver un équilibre entre clarté du message et discours prévisible.
Cela fait environ une heure et vingt minutes que j’assiste à Haven 010. Alors que je commence prudemment à me demander si je n’aurais pas préféré voir un documentaire sur les rencontres de Michael De Cock avec toutes sortes de réfugiés, je suis à nouveau frappée de plein fouet. Les portes s’ouvrent, les acteurs quittent l’entrepôt où la pièce se déroulait, Judith Vindevogel se met à chanter la cantate de Bach « Ach wie flüchtig, ach wie nichtig », et, d’un seul coup, une vingtaine de réfugiés font leur apparition sur scène et rejoignent la troupe. Ils chantent, disent et croient en leur texte : « Ach wie flüchtig, ach wie nichtig ist ein Menschen Leben/wie ein Nebel estheet/und auch wie bald vergehet/so ist unser Leben sehet! » Et alors, plus rien à faire. Impossible d’y échapper. C’est la chair de poule. L’émotion vous prend. Voilà des gens, accompagnés d’enfants pour certains, qui sont exclus parce qu’ils sont sans-papiers. Des gens qui, comme des chiens dans un asile, sont casés dans des établissements fermés, où ils sombrent d’ennui et d’incertitude. Des gens pourchassés par la police et exploités par des personnages véreux, pour qui l’argent est le seul souci. Des gens qui souvent habitent ici depuis des années, travaillent et se construisent une vie, mais qui se font expulser du pays pour autant. Ils sont là, devant nous. Pas d’abstrait dans cette pièce de théâtre, du vrai. Ils demandent de l’attention, ils ont un message. On prend, en pleine face.
Ces cinq minutes de HAVEN 010 suffisent à prouver que l’on peut faire du théâtre politiquement correct qui marche, qui fait ce que l’art est censé accomplir dans le meilleur des mondes : émouvoir, semer la confusion, graver les mémoires et pousser à la réflexion. Ainsi Michael De Cock fait-il encore une belle entrée en matière de cette soirée d’ouverture. Merci.
Griet Op de Beeck, DE MORGEN, 31.07.2010
(…) Plus loin, dans un vieil entrepôt sur les voies de chemin de fer, la troupe de théâtre malinoise ‘t Arsenaal de De Cock et la compagnie de théâtre musical Walpurgis, interprètent ensemble Haven 010. Pour cette pièce, De Cock a puisé son inspiration dans la réalité la plus crue, comme l’a fait Vanfleteren pour ses photos. Sa mise en scène dégage la même atmosphère : les ombres obscures dominent la scène. La lumière du théâtre suscite surtout l’angoisse, comme si l’on était traqué par des projecteurs aveuglants. Le message de Vanfleteren et De Cock est formel : il faut se pencher sur le sort des sans-papiers. Le personnage d’Amro Khaled incarne les réfugiés. Originaire du Maghreb, du Sahara occidental, il est pourchassé par la police. L’un de ses amis a été attaqué par un chien de police, la bête a bouffé son œil. Il traîne dans les environs d’Ostende et dort dans les buissons.
Amro rencontre un routier flamand. De gigantesques images de film dévoilent Ostende au petit matin ; des camions vont et viennent, des bateaux quittent le quai. L’ombre noire d’Amro glisse sur la scène, le personnage est en fuite. Il se lie d’amitié avec le routier, tous deux se comprennent. Le silence s’impose dans certaines scènes pour retracer la destinée des deux protagonistes ; l’existence mouvementée de l’un, la vie relativement tranquille de l’autre. Amro n’a pas de papiers d’identité, contrairement au camionneur : un monde de différence, dont personne ne se préoccupe dans la société libre occidentale. Le récit d’Amro sur la brutalité et la violence des interrogatoires se révèle pénétrant. Il est pris au piège : impossible de rester, impossible de rentrer. Son seul espoir ? Traverser la mer du Nord. La pièce rappelle, furtivement mais avec force dramatique, le voyage fatal de 58 passagers clandestins chinois qu’un camionneur avait voulu faire passer de l’autre côté ; tous ont péri dans son espace de chargement.
Haven 010 laisse chacun volontairement libre de choisir le dénouement de l’histoire : le routier aidera-t-il le réfugié à passer de l’autre côté de la mer ? A la fin, les portes de l’entrepôt s’ouvrent, le camionneur emmène Amro sur les voies ferrées, en lui confiant : « Regarde, traverse et vas jusqu’à la mer. Attends l’hiver. La mer du Nord gèle parfois entièrement, l’Angleterre n’est alors plus qu’à une vingtaine de kilomètres à pied. Tu y seras en moins de deux. »
La mise en scène est sobre, le style franc. Du théâtre engagé sans chasse aux effets. De l’actualité sans pathos. Ruud Gielens, qui incarne le chauffeur, et Mourade Zeguendi, le clandestin, donnent corps à leurs interrogations. Les doutes sur la sincérité du réfugié, sur l’intention de son amitié, s’intensifient. Mais ce que les mots ne disent pas, la musique le fait. Haven 010 bénéficie d’un accompagnement musical éloquent offert par les membres de la compagnie Walpurgis. La chanteuse Judith Vindevogel engage l’air de « Jenny des corsaires », extrait de l’Opéra de quat’sous, pour faire le lien entre les cultures occidentale et arabe. L’univers sonore qui s’échappe des instruments, dont l’accordéon, le violon et la clarinette, se veut menaçant et rauque, tel une amplification terrible du tumulte portuaire, jusqu’à faire peur.
Kester Freriks, NRC Handelsblad, 02.08.2010
Haven 010 (***1/2), une production des compagnies ’t Arsenaal et Walpurgis, ouvre pour nous véritablement le festival TAZ 2010. Cette représentation, bien plus que Vliegen tot de hemel, donne le ton. La projection d’images du port abandonné et de la mer clapotant dans la nuit, produit un effet presque hypnotique. Le jeu et la contribution des femmes du quintet international orchestré par Judith Vindevogel sont subtils et frappants à la fois. Ici, les acteurs et musiciens brillent dans l’obscurité.
Un vieux hangar sombre, établi le long d’un chemin de fer, sert de décor approprié à cette pièce. Une bonne cache pour les sans-papiers. Jusqu’à ce que la police lâche ses chiens, naturellement, que les bêtes leur mordent le bras ou, pire encore, leur déchiquettent un œil. De Cock, metteur en scène de la pièce, s’est inspiré des témoignages des sans-papiers rencontrés au fil des années. De toutes ces histoires, il en a retenu une : celle de Mourad, un jeune Algérien souhaitant rejoindre l’Angleterre et assimilant, comme beaucoup d’autres, le pays des « fish en chips » au Pays de Cocagne.
L’acteur bruxellois Mourade Zeguendi, qui a récemment merveilleusement interprété son rôle dans la pièce 25 Minutes to go, signée Union Suspecte, incarne Mourad. Ruud Gielens, autre membre de la troupe Union Suspecte, joue le rôle d’Eric Van der Plas, le camionneur que Mourad rencontre le long de l’autoroute. L’un, la souris, veut voyager clandestinement. L’autre, la fourmi, transporte des produits alimentaires à travers l’Europe dans son camion. Deux laissés-pour-compte, entre qui un lien particulier se crée. Voilà qui fait de Haven 010 bien plus qu’une histoire de migration. C’est aussi l’histoire d’une amitié entre deux personnages solitaires.
Le camionneur est un personnage fictif, qui remplace De Cock, le reporter de la véritable histoire. Toutefois, cette adaptation permet ici d’offrir une dimension plus profonde à l’histoire. Ainsi, en fin de représentation, la vie reprend-elle ses droits : tandis que Mourad falsifie son identité au centre fermé de Merksplas, Eric confesse qu’il se mélangeait aux riches, lors de ses traversées en camion vers l’Angleterre sur les ferries Hull, en se faisant passer pour Eric Uytterhoeven, vendeur d’ordinateurs. Ne nous arrive-t-il pas tous parfois d’aspirer à une autre vie, une vie meilleure ? Aussi hautes les barrières soient-elles, l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. Tel est le côté tragique de la vie.
Le théâtre documentaire, genre auquel Haven 010 appartient, mêle fiction théâtrale et faits réels et permet, avec génie, de toucher la réalité d’encore plus près. Il y a les vraies photos de Mourad (nous n’apercevons que l’arrière de sa tête), les documents sur son placement au centre fermé de Merksplas, les SMS que Mourad a envoyés à De Cock, les photos de l’acteur Mourade aux côtés des parents de Mourad en Algérie. Au terme de la représentation, les nombreux demandeurs d’asile, avec qui Vindevogel a formé une chorale, quittent le public, cette marée de gens dans laquelle ils se confondaient clandestinement, pour rejoindre la scène et chanter le début de la cantate de Bach : « Ach, wie flüchtig, ach, wie nichtig is der Menschen Leben ». (« Ah ! Combien vaine et fugitive est la vie ».
Il y a heureusement des gens pour marquer leurs histoires, des gens qui prêtent attention aux souris et aux fourmis. Merci à Michael De Cock. Ou comme Ariane confiait à Icare lorsque, enfants, ils se racontaient des histoires, allongés à contempler les nuages : un jour, nous nous inscrirons nous aussi dans l’histoire.
Liv Laveyne, Knack, 30.07.2010
PREMIERE DE HAVEN 010: LA SOPRANE JUDITH VINDEVOGEL GARDE LES YEUX GRANDS OUVERTS
« Ne cessons pas de voir l’autre. »
En unissant leurs forces dans le cadre de la pièce HAVEN 010, les compagnies WALPURGIS et ’t ARSENAAL (en coopération avec Union Suspecte) dépassent les frontières, tant sur le fond qu’au niveau artistique. Michael De Cock a écrit l’histoire d’une rencontre entre un clandestin maghrébin et un routier belge. Judith Vindevogel, chanteuse et directrice artistique de WALPURGIS, a rassemblé des musiciens des quatre coins d’Europe. HAVEN 010 est un dialogue international, sur scène et bien au-delà.
HAVEN 010 et Bertolt Brecht : quels points commun ?
Judith Vindevogel : Avec l’ensemble Ictus, j’ai interprété pendant un certain nombre d’années un programme composé de chansons de Tom Waits et Kurt Weill, dont « Jenny des corsaires », extrait de l’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht. Cette chanson est celle d’une pauvre malheureuse, une moins que rien en bas de l’échelle sociale. Elle doit travailler d’arrache-pied, mais n’obtient pas l’attention que chacun mérite : ignorée et humiliée, personne ne fait d’effort pour apprendre à bien la connaître. « Jenny des corsaires » se met à rêver de vive voix du moment où tout changera, où les rapports de force basculeront. J’ai compris à cet instant que cette chanson, si on l’inscrit dans notre actualité, pouvait être la chanson de tous ceux qui, hors d’Europe, tentent de venir chez nous et que nous préférons ne pas voir. Les bourgeois visés dans la chanson de Weill ? C’est nous, les occidentaux, qui, littéralement et délibérément, n’accordons que bien peu de place aux gens en quête d’une autre vie. Je savais que Michael De Cock était très préoccupé par ce thème de la migration, je suis donc allée lui parler. L’idée de HAVEN 010 nous est venue comme ça.
C’est comme un avertissement, comme si nous allions être punis pour notre égoïsme ?
Judith Vindevogel : La chanson « Jenny des corsaires » attire notre attention sur un danger menaçant. La jeune femme rêve qu’un bateau vienne à quai, que l’équipage s’empare de la ville et ramène à ses pieds tous ses habitants. Lorsque le capitaine du bateau lui demande qui exécuter, elle répond « tous ». Logique : les gens traités comme des chiens réagissent comme des chiens. Pour moi, cette chanson nous apprend qu’il faut voir l’autre, qu’il faut se préoccuper les uns des autres, et, de fait, que l’on ne peut se dérober à la problématique de la migration. Ne cessons pas de voir l’autre – sans quoi nous lui retirons son humanité. Les rapports de force peuvent vite basculer. Tant notre prospérité que notre humanité tiennent à un fil.
Autre temps fort de HAVEN 010 : la cantate de Bach « Ach wie flüchtig, ach wie nichtig. »
Ach wie flüchtig, ach wie nichtig … J’ai choisi cette cantate parce qu’elle présente deux aspects, comme un clair-obscur. Deux interprétations sont possibles. Du point de vue des migrants, il y a l’idée que la vie est courte, qu’elle « naît comme le brouillard, qui bientôt se dissipe. » Ils sont pleins d’espoir et d’ardeur, veulent faire quelque chose de beau de leur vie. Pour eux, c’est maintenant ou jamais. Du point de vue des occidentaux, on peut dégager la leçon suivante de cette cantate : gardons-nous de tant d’arrogance face à toutes les richesses et le pouvoir que nous amassons, la chance peut tourner bien vite.
Cette double perspective est frappante : dans HAVEN 010, la parole est non seulement donnée au migrant, mais aussi à l’autochtone.
Dans ses pièces, Michael envisage souvent l’histoire du point de vue des clandestins. Il était pour moi important aussi d’intégrer ‘notre’ ressenti. Tous ces gens qui nous viennent de là-bas, ça ne nous laisse pas de marbre. Des questions se posent, même si l’on est large d’esprit : jusqu’à quel point peut-on les laisser venir ? Quel est le seuil limite de tolérance ? Et attention, je parle pour moi en premier ! A côté du personnage du maghrébin qui veut fuir vers Londres, cette ambivalence est servie par un deuxième personnage : un camionneur belge qui, en raison de l’ouverture des frontières européennes et de l’afflux de chauffeurs polonais et slovaques, perd son travail. Au final, HAVEN 010 est une histoire nuancée où la complexité de la réalité – et par là même notre tolérance et intolérance– a toute sa place.
Dans HAVEN 010, le dialogue sert de véritable trame. Mais ce dialogue a-t-il aussi su s’imposer dans la coopération artistique ? Vous êtes entourée de musiciens venus de Norvège, d’Albanie, de Croatie, d’Espagne,…
Le dialogue est au centre de chaque projet entrepris par WALPURGIS. Le théâtre musical est, par excellence, une discipline qui marie des cultures, styles et motivations différents. Michael et moi avons voulu dès le départ en faire une coopération européenne prononcée. Un véritable partenariat artistique, ne visant pas seulement la scène étrangère. Pour y arriver, il faut aller au dialogue avec des gens venus d’ailleurs. Le parcours qui en résulte n’est pas toujours évident, je l’avoue. Ouvrir véritablement le dialogue, c’est parfois plus facile à dire qu’à faire (sourire). Mais c’est ce à quoi nous avons voulu aboutir avec HAVEN 010.
TAZ gazette, Evelyne Coussens, juillet 2010
L’auteur Michael De Cock et les compagnies ‘t Arsenaal, Union Suspecte et Walpurgis ont uni leurs forces pour offrir une pièce avec pour thème central la migration contemporaine. Une pièce qui se déroule dans une sphère occulte de notre société. Après une série de représentations réussies à Ostende (Theater aan Zee) et Anvers (de Zomer van Antwerpen), Haven 010 est prêt à sillonner le reste du pays.
Laissez-moi d’abord vous dire que je suis novice en la matière, un spectateur non-initié, tout sauf un critique de théâtre professionnel. Le thème de l’asile et de la migration, je le connais plus de par le passé que des dernières actualités.
Dans ce passé, j’ai participé aux initiatives, puis été président d’une association dont le but était de défendre les intérêts des demandeurs d’asile et sans-papiers auprès des autorités locales et supralocales, à Anvers et proximité. Cette association s’appelait « HAVEN », ou Hulp Aan VluchtelingEN (aide aux clandestins). C’est l’une des raisons qui m’a incité à aller voir la pièce Haven 010.
Mais il y a une autre et véritable raison pour laquelle je voulais y assister : j’étais extrêmement curieux de voir comment Michael De Cock allait transcrire son intérêt considérable et inébranlable pour la vie de tous ces clandestins dans une pièce de théâtre contemporaine. Qu’est-ce que le théâtre pouvait apporter de plus que la presse écrite pour montrer les nombreuses coutures et facettes de la migration du vingt-et-unième siècle, à un public largement mis à distance des immigrés ?
La pièce est annoncée comme une représentation sur « des gens qui, pour toutes de sortes de motivations, viennent chez nous pour trouver un nouveau port d’attache en Europe, et sur notre propre ressenti face au phénomène ». La force et l’originalité de l’ensemble résident dans cette petite phrase annexe.
Haven 010 n’aborde pas tant le thème de la migration et des difficultés qui s’y rattachent, mais plutôt celui de la société en tant que tout, en tant que système au sein duquel on n’accorde ni place ni attention aux personnes en marge de la société – bien qu’ils soient des milliards. Il y a la machine bien huilée de la classe moyenne européenne, et une couche subalterne de gens, aspirant désespérément à en faire partie, mais qui en sont exclus par toutes sortes de méthodes – brutales, invisibles, légales, et même bien intentionnées.
C’est dans cette nébuleuse obscure qu’a lieu la rencontre entre Mourad et Eric, entre la souris et la fourmi, entre le clandestin fugitif et fuyard et le camionneur insignifiant, entre l’habitant qui parcourt librement les routes de l’Europe et en traverse les frontières, sans rêves ni ambitions, et le sans-papiers qui rêve d’un eldorado, de l’autre côté, mais reste bloqué dans une destination qui n’est pas la sienne.
Haven 010 ne se concentre pas unilatéralement sur la misère des demandeurs d’asile et évite en même temps se de pencher sur le travailleur social autochtone à titre de pôle opposé. La pièce invite le spectateur à voir la fragilité cachée des vies, dans toute leur insignifiance et fugacité. Cet angle de vue confère à la pièce un caractère unique et précieux.
Dans Haven 010, De Cock a opté pour une forme hybride. Un dialogue entre deux personnages, de la musique en direct en guise de troisième personnage, trois écrans géants projetant la réalité du monde – avec le reflet du théâtre – et tout ça dans un hangar sombre du port. Voilà déjà un arsenal d’instruments, regroupés non seulement pour provoquer la raison du spectateur, mais aussi ses sens, et ses émotions par conséquent.
Haven 010 n’a pas pour vocation première d’informer, mais pousse à la confrontation et la réflexion. L’implication dans la vie de Mourad et de ses compagnons d’infortune et de traversée n’est jamais sentimentale, mais vacille constamment sur la limite du rejet. L’inéluctabilité de la migration et de la mondialisation n’est jamais dépeinte dans les couleurs exotiques d’une diversité luxuriante, mais semble être une affaire d’hommes qui se rencontrent dans un couloir annexe de la vie sociale, qui s’y entrechoquent et reconnaissent leurs souffrances.
Rien à dire sur le projet, la construction et la perspective de Haven 010. Malgré tout, la pièce ne fonctionne pas vraiment, ce en raison de quelques carences qui, cumulées, mènent à un grand vide.
La rencontre entre Mourad et Eric peut bien être le point central de la pièce, mais elle n’a jamais lieu. C’est intéressant en soi, car les deux personnages sont si usés par leur propre exclusion et abnégation qu’il paraît quasiment impossible qu’ils puissent passer la frontière par un moyen dépassant la coïncidence. Mourad va au contact d’Eric, espérant qu’il l’aidera à traverser la Manche. Eric, à son tour, cherche quelqu’un qui puisse l’aider à détruire les ponts qui le lient à son passé de tracasseries. La pièce suggère que le rapport entre les deux hommes gagne en force et profondeur, mais on peut en douter dans la mesure où l’on n’observe aucune évolution ou progression des personnages au niveau individuel. En tout cas, on n’y croit pas totalement. Et lorsqu’un pilier central bascule, c’est l’ensemble de la construction qui menace de s’affaisser.
Peu à peu, le poids de la pièce se déplace de Mourad à Eric, de l’utopie de la migration à la petite vengeance de l’autochtone en marge. La véritable interview du vrai Mourad, dont quelques passages sont projetés à l’écran, évoque une traversée réussie, mais cette perspective disparaît sur scène sous le poids accablant du traumatisme mère-fils d’Eric.
L’arrivée sur scène, pour le final –avec en toile de fond le geste d’émancipation apocalyptique d’Eric – de tout un groupe de vrais demandeurs d’asile et sans-papiers, venus chanter la cantate de Bach « Ach wie flüchtig, ach wie nichtig ist der Menschen Leben », a quelque chose d’ambivalent. La scène est saisissante et vous sort immédiatement de l’illusion que ce n’est là « que du théâtre »: la pièce Haven 010 traite des gens, des vrais, ils ont un visage, une voix, de véritables rêves et attentes, mais aussi des blessures et déceptions bien trop réelles – bien qu’elles soient effacées par une répression continuelle et un discours dominant. En même temps, ce final se situe à la limite de l’exploitation, en considérant que les vrais sans-papiers viennent combler, à la onzième heure, le manque de crédibilité et d’implication émotionnelle de la pièce.
Ce manque d’implication émotionnelle est frappant dans une pièce inspirée par de longs et nombreux entretiens avec des chercheurs d’asile et sans-papiers. Michaël De Cock n’est pas un homme de glace et doit souvent avoir été sidéré en écoutant l’histoire de tous ces hommes qui parcourent l’Europe sans papiers, soit quasiment sans droits.
L’acteur Mourad Zeguendi relate par exemple, dans une interview pour De Standaard, l’histoire d’un petit groupe de clandestins qui tentent de traverser la Méditerranée de nuit à bord d’une chaloupe. Pour ne pas se faire remarquer par les garde-côtes espagnols en patrouille, tous doivent observer un silence parfait. C’est alors qu’une mère doit noyer son bébé en pleurs pour ne pas mettre en péril la traversée des autres passagers.
Ces quelques phrases de Zeguendi m’ont noué l’estomac. Elles ne témoignent pas seulement du désespoir et de la conviction de fer des clandestins, mais aussi des traumatismes que ceux-là mêmes qui ont réussi la traversée doivent porter toute leur vie durant. Haven 010 ne nous confronte pas à ce type de réalités et ne pose pas ces interrogations. Le conflit opposant Eric à sa pénible mère est présenté avec une plus grande émotion (ou du moins avec plus de fracas et décibels) que les blessures physique ou psychiques de Mourad.
Ce qui m’a le plus ému dans cette pièce, c’est l’interprétation magnifique de « Heroes » par Hadewig Kras, accompagné d’une simple basse électrique. « Oh we can beat them / Forever and ever / Then we could be heroes just for one day. Ce Bowie meets the Velvet Underground est –avec le final – un des rares moments où la contribution musicale renforce la pièce, lui apporte de la profondeur et lui vient en aide.
La polarité entre le rêve de héros et la confrontation à l’insignifiance de la vie en marge de la société crée d’ailleurs la tension narrative au sein de laquelle Haven 010 évolue. La plupart du temps, la musique vient interrompre le développement et l’histoire, sans qu’aucune autre fonction constructive ne soit donnée à ces césures au sein de la pièce.
Le choix musical électrique n’offre pas d’ensemble cohérent, il ne fonctionne pas comme une chorale grecque qui entre en dialogue avec les personnages. « Ouvrir véritablement le dialogue, c’est parfois plus facile à dire qu’à faire », confie la directrice musicale Judith Vindevogel dans la gazette TAZ. La pièce en est malheureusement la preuve, même si ce n’était sans doute pas le but du propos. Au fil de la représentation, ce manque de communication entre texte et musique donne peu à peu l’impression que cette pièce est un « travail en cours », qui doit être affiné pour trouver son orientation définitive et atteindre son objectif final.
L’histoire de la première rencontre entre Mourad et Eric me semble être la plus belle métaphore de toute la pièce. Mourad est monté clandestinement sur un camion en espérant rejoindre la Grande-Bretagne, mais il s’est au contraire fait transporter vers l’intérieur des terres, jusqu’à Jabbeke. Bien essayé, mais pari perdu.
Haven 010 est basé sur une analyse assurément bonne et sérieuse, – De Cock indique à juste titre qu’il peut investir plus de temps et de moyens qu’un journaliste travaillant sur le thème, et qu’il bénéficie d’un meilleur accès aux documents et comptes-rendus officiels que ce même journaliste – sur une perspective forte, – la rencontre entre la souris et la fourmi – et sur une composition alliant texte, musique et images, qui oblige à reconstituer soi-même le puzzle – comme c’est aussi le cas dans la vraie vie – pour, une fois tous les morceaux recousus, découvrir le visage répugnant de notre société dans l’histoire de la migration contemporaine.
Si tous ces éléments sont mal enchevêtrés, s’ils ne permettent pas d’aboutir à une pièce impressionnante et convaincante, le camion se retrouve alors chargé de tout son matériel sur un parking de Jabbeke, et non sur un quai du port de Douvres.
Gie Goris, MO Magazine, 18 août 2010